Organiser les communautés en première ligne: une participation citoyenne pour accélérer la transformation écologique

Certains groupes sociaux ont des intérêts collectifs coïncidant avec des enjeux écologiques. Leurs revendications, actions, négociations et victoires pour la fin de l’utilisation des pesticides, la réduction du trafic automobile ou les rénovations énergétiques accélèrent la transition écologique. Ces communautés de locataires, de parents ou d’usagers sont des communautés en première ligne dont la mobilisation peut peser pour faire reculer les intérêts de l’économie polluante et climaticide. En identifiant mieux ces communautés, il est possible d’enclencher une action volontariste d’appui à l’organisation et à la mobilisation. L’organisation massive des syndicats ouvriers a constitué au siècle dernier une étape déterminante pour faire reculer le capitalisme sauvage et acquérir des droits sociaux. De la même manière, face aux intérêts des agro-industriels et d’autres bénéficiaires de l’économie polluante, la multiplication des efforts d’organisation des communautés en première ligne (community organizing) en écosyndicats citoyens de lutte est une étape décisive pour préparer puis accélérer la révolution écologique.

En 2018, un nouveau collectif de parents d’élèves de Parempuyre en Gironde s’est monté pour refuser l’implantation d’un nouveau collège à 50 mètres de vignes cultivées avec des pesticides nocifs pour la santé et demander la conversion en agriculture biologique du domaine Château Pichon. A la suite de leur mobilisation, la Maire de Parempuyre a édicté un arrêté anti pesticide en janvier et le groupe Fayat propriétaire du domaine Château pichon a annoncé le 16 janvier entamer une conversion au bio avec 5 hectares dès le millésime 2019. Dans un autre contexte, à Villeurbanne, dans le Rhône, un syndicat de locataires HLM du quartier Monod mènent le combat pour obtenir l’accélération des rénovations thermiques pour leur logement. « Des rénovations pour Monod. L’écologie pour nous aussi » pouvait-on lire sur la banderole portée par les 60 locataires qui ont occupé le siège du bailleur social le 23 juillet 2020. La négociation avec la directrice qui a suivi a ouvert la porte à des premiers travaux d’isolation et à l’accélération du calendrier des rénovations énergétiques.

"L'écologie pour nous aussi" demandent les locataires HLM de Villeurbanne

Ces deux petites victoires montrent que la mobilisation des citoyens directement concernées par des enjeux écologiques peut accélérer les décisions institutionnelles nécessaires à la transition. Ce type de mobilisation existe sous de nombreuses formes. A Paris, un syndicat de parents d’élèves se mobilise depuis 2019 pour demander des mesures permettant la réduction de la pollution de l’air qui affecte particulièrement l’école où sont scolarisés leurs enfants. A Montpellier, un collectif d’usagers des transports se mobilise pour demander à la région Occitanie plus de places pour les vélos dans les rames de trains pour faciliter leurs trajets domicile-travail. Les syndicats locaux de paysans ont joué un rôle décisif en Loire atlantique dans la bataille victorieuse fameuse contre la construction d’un aéroport sur leurs terres à Notre Dame des landes, ou dans le Rhône et la Loire, contre celle contre l’autoroute A41. Tous ces groupes défendent leurs propres intérêts : leur terre, leur facture de chauffage ou la santé de leurs enfants. Leur combat suscite pourtant du soutien auprès d’un public plus large, par solidarité avec ces personnes et parce qu’il va dans le sens de la transition écologique.

A l’inverse, de nombreux autres groupes sociaux ont des intérêts matériels divergents par rapport aux enjeux de sauvegarde écologique. Il y a d’abord les patrons de firmes et leurs actionnaires qui font des profits avec des activités polluantes et climaticides. Mais la ligne ne suit pas une division de classe et de nombreux groupes sociaux populaires sont dans le même cas, même si c’est parfois dans une moindre mesure : les agriculteurs dont les cultures font un usage intensif d’engrais et de pesticides, les ouvriers d’usines polluantes menacées de fermeture par une réglementation environnementale, les automobilistes, les amateurs de Harley Davidson, de F1 ou de saut en parachute, ou encore les habitants de stations de ski dépendant de l’industrie touristique. Ces communautés ont toutes des intérêts collectifs dominants qui entrent en contradiction à court terme avec les enjeux écologiques.

Le problème des décisions écologiques politiquement impossibles: bénéfices diffus et coûts concentrés

L’existence de ces communautés éco-divergentes pose le problème décrit par l’économiste Mancur Olson (1932-1998) dans son ouvrage classique Logique de l’action collective. Il y explique que les mesures politiques les plus difficiles à mettre en œuvre sont celles qui présentent des bienfaits diffus et des coûts concentrés : les groupes d’individus voués à en supporter les coûts s’opposeront vigoureusement à la mesure proposée, tandis que les bénéficiaires feront peu pour la défendre. Toute mesure politique visant à réduire les émissions de carbone ou les pollutions affectant la biodiversité produit des bienfaits pour tous les habitants de la planète. Mais les « intérêts concentrés » qu’évoque Olson et qui doivent en supporter les coûts vont se mobiliser pour les refuser et peser politiquement contre leur mise en place. La mobilisation des routiers avec les bonnets rouges contre les péages de taxe carbone ou celle des agriculteurs contre l’interdiction du glyphosate en sont des exemples classiques.

La loi des intérêts concentrés et des bénéfices diffus d’Olson explique en partie l’inaction climatique de la puissance publique malgré toutes les recommandations à accélérer les choses. Pour inverser la tendance, il est nécessaire d’identifier plus précisément les intérêts concentrés de l’autre camp, ceux des bénéficiaires des mesures de transition écologique. Le développement de la puissance politique de ces groupes-là pourrait être un facteur décisif pour dépasser les résistances des intérêts concentrés anti-écologiques.  La sociologie de l’action publique a montré depuis longtemps que la mise à l’agenda ou le déploiement de politiques publiques pouvait être accéléré par les mobilisations citoyennes.

Une politique écologiste ambitieuse est nécessairement en partie contraignante (réduction du transport automobile et de certaines formes consommation, taxes…) et non consensuelle. Une des leçons des gilets jaunes est que toute mesure écologique contraignante peut être perçue comme socialement injuste et provoquer un rejet populaire important. Le risque de conflit social peut ainsi amener des dirigeants politiques à renoncer à certaines décisions pourtant nécessaires pour accélérer la transition. L’action publique pour la transition va à l’encore des intérêts de certains groupes sociaux (automobilistes et routiers ou agriculteurs conventionnels pour ne citer que les plus fameux) et favorisent ceux des groupes que nous avons identifiés comme les communautés au front.

Les 3 types de « communautés en première ligne » dont les intérêts sociaux collectifs coïncident aux intérêts écologiques 

Les pollutions et la destruction des écosystèmes affectent certains groupes sociaux plus que d’autres. Des communautés se retrouvent ainsi au front du combat écologique. Naomi Klein décrit ces « communautés au front » (frontline communities) comme les acteurs décisifs de la guerre contre le changement climatique[1]. Elle cite d’abord les riverains d’usines, d’agriculture industrielle, ou encore d’axes routiers polluants, puis tous les habitants dont l’environnement est dégradé par de grands projets d’infrastructures ou des exploitations minières (carrière, pétrole, schiste, mine d’or…). Les intérêts de ces groupes convergent avec les intérêts des écosystèmes. On parle d’ailleurs de gardiens de la nature ou de défenseurs de la nature pour décrire les communautés amazoniennes notamment. Naomi Klein cite les tribus amérindiennes vivant sur le tracé du pipeline Keystone aux Etats-Unis ou les villageois et communautés autochtones riveraines du projet de mine d’or des Skouries en Grèce ou de la Montagne d’or en Guyane. On peut ajouter au recensement des communautés victimes tous les habitants des zones qui seront inondées à la suite du réchauffement climatique, ce qui a pu expliquer l’activisme écologique d’une partie des habitants de Grande Synthe derrière leur maire Damien Carême[2]. D’autres groupes victimes ne sont pas des communautés de territoire comme les précédentes. Il y a d’abord les communautés de travailleurs et travailleuses affectées par les pollutions. Les ouvriers travaillant dans un environnement pollué comme ceux qui récoltent des fruits traités massivement aux pesticides ont également intérêt à des pratiques moins nuisibles pour l’environnement et pour leur santé. On peut penser aussi aux seringueiros comme Chico Mendes sur lesquels on reviendra, dont le travail de récolte de sève d’hévéas dans la forêt amazonienne se trouve menacé par la déforestation. Tous les groupes de personnes dont l’activité économique est mise en danger par l’aggravation des déséquilibres écologiques peuvent être qualifiées d’en première ligne. Des travailleurs victimes des pollutions peuvent être néanmoins dans une situation ambivalente quand leurs revenus dépendent de la pérennité de ces activités polluantes. Un dernier type de communautés victimes est constitué des personnes ayant une maladie ou une déficience physique commune qui les rendent particulièrement vulnérabled face aux pollutions ou dérèglements climatiques. Les asthmatiques ont objectivement un intérêt plus impératif que les autres à ce que soient prises des mesures améliorant la qualité de l’air.

 

Dans l’objectif de recenser les communautés en première ligne, on peut élargir la focale au-delà des victimes « au front des pollutions » en recensant les groupes qui sont les bénéficiaires immédiats des politiques de transition. Les cyclistes sont par exemple les premiers gagnants des mesures visant à augmenter et améliorer les pistes cyclables et laisser moins de place à la voiture dans la ville. Les locataires habitants de passoires thermiques bénéficient des plans de financement public pour les travaux d’isolation et de rénovation énergétique. Les usagers des trains ou d’autres transports en communs ont intérêt à une amélioration de l’offre de ce secteur. Un autre groupe de bénéficiaires de la transition écologique est constitué de tous les travailleurs employés dans l’économie verte. Les travailleurs de la construction peuvent se retrouver comme une communauté en première ligne au vue des enjeux colossaux de rénovations nécessaires à aux économies d’énergies dans le bâtiment. A mi-chemin entre riverains et travailleurs, les apiculteurs sont souvent au front des batailles contre l’agriculture polluante, comme le sont les paysans pratiquant une agriculture biologique.

 

En plus des victimes ou des bénéficiaires directs, une troisième catégorie possible quoique plus abstraite de communautés en première ligne peut être imaginée à partir d’une approche générationnelle. Certaines personnes vont être plus affectées que les autres par la dégradation des écosystèmes car ils vont les vivre plus longtemps. C’est le cas des enfants et des jeunes qui vont vivre la majeure partie de leur vie dans un climat déréglé et qui sont objectivement plus impactés que les personnes qui vont mourir avant le gros des catastrophes climatiques. Plus indirectement, on peut classer parmi les communautés en première ligne les jeunes parents préoccupés par la santé de leurs enfants menacés par l’air pollué et les pesticides et qui veulent se battre pour le droit de les voir grandir et vivre dans un environnement sain. A Beyrouth au Liban, des habitants de quartiers pauvres sont affectés par les incinérations sauvages d’ordures dans un contexte de catastrophe écologique liée à la défaillance totale de l’Etat sur la gestion des déchets. Les parents du quartier se sont organisés pour demander un meilleur traitement des déchets avec pour mot d’ordre « la santé de nos enfants est une ligne rouge ». On appellera ces différents groupes les « communautés tournées vers le futur » 

Construction des écosyndicats de citoyens au sein des communautés en première ligne

Tous ces groupes sont, pour reprendre une approche matérialiste, des communautés en soi du fait de leurs intérêts communs objectifs mais elles peuvent exister sans avoir conscience de cette communauté d’intérêts. Elles deviennent des communautés pour soi avec une conscience commune lorsqu’une dynamique d’organisation fait émerger en son sein une structure porteuse d’une parole collective et d’actions collectives. Ce processus a été le plus souvent décrit pour les communautés de travailleurs qui prennent conscience de leurs intérêts communs et de leur force avec la construction d’un syndicat. Pour les communautés citoyennes, l’organisation prend la forme d’une association de riverains, d’un collectif de parents, d’usagers de transports ou d’un syndicat de locataires. Nous utilisons ici le terme générique de « syndicat » définit comme une organisation de défense des intérêts collectifs de ses membres. Les syndicats de travailleurs en sont la forme la plus fréquente, mais il existe également des syndicats de locataires, de copropriétaires, d’étudiants ou de parents d’élèves. La particularité de cette notion est d’être centrée sur la défense des intérêts matériels par rapport aux associations ou partis constituées autour d’idées, de valeurs et portées par des personnes indépendamment du fait qu’elles soient directement concernées par le problème visé.

On parle d’écosyndicats lorsque les intérêts collectifs défendus coïncident avec des enjeux écologiques plus larges. La notion d’écosyndicat a été utilisée pour la première fois pour décrire les syndicats de seringueiros et le mouvement initié dans les années 1960 par Chico Mendès dans la forêt amazonienne brésilienne. Les travailleurs récoltant le caoutchouc des hévéas voyaient leur métier menacé par la déforestation et l’abattage des forêts pour l’élevage industriel. Un syndicat des seringueiros a été initié par Chico Mendès et les autres travailleurs pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail et de vie. Rapidement, il s’est battu contre les abattages de forêt qui leur environnement de travail. « Au début je défendais les travailleurs, puis je me suis mis à défendre la forêt. Maintenant je défends l’humanité et la planète toute entière » disait Chico Mendès avant d’être assassiné sur ordre des patrons d’entreprises œuvrant à la déforestation.

 

Les dynamiques d’organisations peuvent être initiées spontanément de l’intérieur des communautés. Quelques membres prennent un rôle de leadership et initie l’organisation comme ont pu le faire Chico Mendès et ses camarades au sein des seringueiros. Elles peuvent aussi être initiées de manière volontaristes par des personnes extérieures à la communauté. Comme à l’époque où les communistes envoyaient des militants dans une mine, une usine ou une plantation pour y organiser un syndicat et y constituer une base de militants.  Dans le monde anglo-saxon, la fonction d’organisateur syndical (union organizer) s’est élargie pour s’appliquer à l’organisation des communautés d’habitants et de citoyens (community organizing) à partir des expériences de Saul Alinsky et son travail d’organisation de syndicats de quartier à Chicago dans les années 1940[1]. A sa suite, le nombre d’organizers s’est démultiplié dans les quartiers afro-américains pour le mouvement des droits civiques au début des années 1960, puis par exemple, dans le combat pour la protection sociale (avec notamment les community organizers de la National Welfare Rights Organization[2]). On trouve à partir des années 1970, des expériences de community organizers engagés auprès de communautés au front des enjeux écologiques. Fondée en 1970, l’organisation ACORN a conduit une de ses premières batailles majeures sur un enjeu écologique. Un projet de construction de la plus grande centrale à charbon des Etats Unis dans le comté de Jefferson en Arkansas allait rejeter quotidiennement 469 tonnes de dioxyde de souffre dans l’air quand elle serait construite. Ces rejets seraient susceptibles d’entraîner des dommages importants sur les cultures de coton et de haricots des agriculteurs locaux et des risques sanitaires pour l’ensemble des habitants. Un syndicat du comté de Jefferson est constitué comme section locale d’ACORN et le combat est lancé contre l’entreprise AP&L porteuse du projet. La mobilisation des riverains et l’enquête sur le risque de pollution ont finalement amené les autorités publiques à diviser par deux la taille de la centrale prévue et à imposer un système strict de contrôle anti-pollution. Ainsi contrainte et sous pression, AP&L a finalement décidé d’annuler l’ensemble du projet. Les intérêts concentrés des agriculteurs et des riverains ont imposé des mesures de protection de l’environnement contre l’intérêt de l’entreprise industrielle.

On compte en France, de nombreuses mobilisations comme celles-ci de communautés locales affectées par un projet industriel ou d’infrastructure de transports qui s’organise et qui mobilise du soutien important d’alliés et citoyens contre l’autoroute, l’aéroport, le centre commercial ou l’usine envisagée. Dans certains cas cependant, la mobilisation ne démarre pas ou reste faible. Il est remarquable que ce sont d’abord les communautés riveraines (type 1.1 dans le tableau) qui se mobilisent le plus souvent et avec le plus de facilités. La fonction d’organisation des communautés (community organizer) emprunté au monde militant anglo-saxon ouvre de nouvelles perspectives. Elle permet d’une part de faciliter l’organisation et la mobilisation de communautés dont le capital social et culturel est plus faible et qui a plus de difficultés à le faire. Elle permet également d’être moins limité à la mobilisation de communautés victimes (cf. typologie ci-dessus) et une logique de réaction « contre » des projets pour être proactif dans l’appui à l’organisation de communautés au front des enjeux de la transition. Le Bus riders union de Los Angeles est un des exemples d’écosyndicat de lutte qui mêle depuis 1991 les questions sociales, raciales et environnementales dans leur combat pour améliorer les transports en commun utilisés par les classes populaires majoritairement noires et latinos pour se rendre au travail dans l’agglomération.

En France, une dynamique d’appui à l’organisation d’écosyndicats dans les quartiers populaires s’est lancée en 2015 à Grenoble autour des enjeux de rénovations thermiques. Les habitants des logements sociaux à Teisseire souffraient du froid et de factures de chauffage importantes du fait de la vétusté des fenêtres et des déperditions importantes d’énergie. Si les plaintes et réclamations individuelles étaient fréquentes, aucune mobilisation n’a eu lieu avant l’intervention d’un organisateur syndical extérieur au quartier formé et employé par l’association Alliance Citoyenne[4]. Ce travail implique de longues sessions de porte-à-porte, des réunions d’appartements, la constitution d’un comité d’organisation parmi les habitants les plus motivés, des enquêtes citoyennes auprès d’experts, puis l’organisation d’une assemblée pour inviter tous les habitants à débattre des problèmes d’isolation et proposer la fondation d’un syndicat de quartier pour porter des demandes auprès du bailleur. Les actions collectives et les négociations qui ont suivi ont permis la mise en place d’un plan de remplacement des menuiseries pour assurer des économies d’énergie sur tous les immeubles concernés. Alors que ces économies d’énergie dans les logements sont un enjeu majeur de la transition écologique, l’expérience montre comment la fonction d’organisateur peut favoriser des dynamiques ascendantes pour compléter les politiques publiques descendantes sur le sujet. La duplication de l’expérience nécessite une cartographie des immeubles mal-isolés dans la ville pour identifier les communautés concernées par cet enjeu et envoyer un organisateur écosyndical pour en appuyer l’organisation. La lecture des rapports de diagnostics de performance énergétique (DPE) de l’ensemble du patrimoine des bailleurs sociaux a permis en 2019 et 2020 de lancer des dynamiques similaires dans les quartiers d’Aubervilliers puis à Villeurbanne en 2020 avec l’exemple cité au début de l’article. Le mouvement Alternatiba a également initié des démarches de type écosyndical en identifiant les zones où l’air était le plus pollué dans les villes de Paris et Lyon. Les militants écologiste sont allés appuyer l’organisation de parents d’élèves d’écoles dans ces zones pour que des écosyndicats de parents demandent des mesures pour limiter la circulation automobile et les autres sources de pollution de l’air.

Mener une politique écologiste en articulant le pouvoir institutionnel et le pouvoir citoyen des communautés au front de la transition

A l’heure où plusieurs grandes villes sont désormais gouvernées par des équipes municipales écologistes, se pose la question de l’articulation d’une politique publique écologiste descendante et des dynamiques collectives ascendantes des jeunes, de locataires HLM ou de parents d’élèves. On peut imaginer une nouvelle approche politique où les institutions se donnent pour mission notamment de créer un environnement favorable à l’émergence de dynamiques d’interpellations écocitoyennes pour que la transition soit le fruit d’un double mouvement descendant et ascendant. Une politique écologiste ambitieuse est nécessairement en partie contraignante (réduction du transport automobile et de certaines formes consommation, taxes…) et non consensuelle. Une des leçons des gilets jaunes est que toute mesure écologique contraignante peut être perçue comme socialement juste et provoquer un rejet populaire important. Le risque de conflit social peut ainsi amener des dirigeants politiques à renoncer à certaines décisions pourtant nécessaires pour accélérer la transition. L’action publique pour la transition va à l’encore des intérêts de certains groupes sociaux (automobilistes et routiers ou agriculteurs conventionnels pour ne citer que les plus fameux) et favorisent ceux des groupes que nous avons identifiés comme les communautés au front. Faciliter l’organisation et la mobilisation de ces derniers peut contrebalancer le risque de mobilisation des premiers et éviter des arbitrages défavorables à la transition. Dans une conversation privée, le Maire de Grenoble Eric Piolle s’est plaint de la faible mobilisation des jeunes pour appuyer la réalisation d’une promesse de campagne leur assurant la gratuité des transports en commun. Il regrettait que sa politique ambitieuse pour les transports en communs se soit heurtée à des résistances politiques et des freins sans que les bénéficiaires n’aident à l’accélérer.

Il est possible de cartographier, sur un territoire les différentes communautés au front des enjeux écologiques et de réunir les conditions pour faciliter l’émergence d’interpellations éco-citoyennes. Certaines ont déjà en leur sein des dynamiques d’organisation d’autres non. Au sein d’associations de parents d’élèves, de collectifs de riverains ou de syndicats de locataires, des groupes remplissent déjà en partie ce rôle. Quand ce n’est pas le cas, il est possible de construire un environnement favorable et mettre en place des fonctions pour initier ou renforcer ces dynamiques. La fonction de « community organizer » peut être remplie par des militants ou salariés associatifs, des volontaires en service civique mais également par des animateurs de centres sociaux ou agents de développement local de la ville.

Un environnement favorable aux interpellations éco-citoyennes contient également un accès facilité à l’expertise pour renforcer les demandes collectives, une fonction de tiers pour faciliter les négociations et des formes de protections pour éviter les formes de répressions (voir le rapport « Une citoyenneté réprimée » à ce sujet). Un tel environnement nécessite des financements publics pour assurer les conditions matérielles d’une multiplication de dynamiques d’interpellation sur les enjeux écologiques. Un fonds d’interpellation citoyen écologique pourrait par exemple assurer le remboursement des frais engagés dans les campagnes de pétition locales si elles atteignent un certain seuil, sur le modèle du remboursement des frais des campagnes électorales.

En construisant un environnement avec une multitude d’interpellations écocitoyennes sous des formes variées, les politiques publiques écologiques ambitieuses ne seraient alors pas seulement descendantes, mais en articulation avec de nombreuses demandes collectives ascendantes sur le territoire.  Les contradictions nombreuses et variées qui jalonnent le chemin de la transition se verraient ouvrir des espaces de négociations entre enjeux institutionnels et demandes sociales. On écarterait alors le risque d’une écologie bourgeoise, de centre-ville, portée par un pouvoir technocrate élu seulement par les classes moyennes éduquées. En plus des associations et partis écologistes, le mouvement de la transition serait porté par une multitude de mobilisations de quartier qui pousseraient les institutions à aller plus loin et bousculer les contraintes réglementaires et budgétaires. Ancré localement et ancré socialement, un tel pouvoir citoyen pourrait contrebalancer les intérêts puissants de l’économie polluantes qui s’opposent aux mesures politiques de la transition. Et ouvrir la voie à une réelle révolution écologiste.