Droit d'interpellation : qu'est-ce que peut faire une ville pour mieux reconnaître, protéger et encourager les interpellations citoyennes?

Si la vitalité démocratique dépend de l’engagement des citoyens, les collectivités peuvent jouer un rôle majeur pour construire un environnement qui encourage la construction de parole collectives et des dynamiques d’interpellation citoyenne qui améliorent l’action publique.

Six mesures tirées du rapport de l'Observatoire des libertés associatives pour encourager les dynamiques citoyennes ...

Quand des associations ou collectifs d’habitants, de parents d’élèves ou autres prennent une fonction de “syndicat des usagers de l’action publique” et font entendre des demandes ou des contestations, la dimension conflictuelle peut être mal comprise et générer des crispations. Quelques mesures peuvent être mises en place pour construire un environnement favorable à l’émergence d’interpellations citoyennes et leur permettre d’améliorer l’action publique.

RECONNAITRE pour mieux protéger les associations actrices de la démocratie d’interpellation

1- Un mécanisme de recensement et de reconnaissance des associations du territoire qui pratiquent l’interpellation citoyenne. Connaître et reconnaître ces formes de citoyenneté collective critique en tant que telles, et les distinguer si nécessaire des expressions de l’opposition politique permet de mieux construire les conditions pour les accueillir et résoudre les éventuelles conflits.

2- Une charte des libertés associatives pour définir des règles du jeu qui encadrent mieux les relations entre institutions et associations qui les interpellent. Les délais de réponse, la transparence, les règles du droit de pétition, la définition des critères pour choisir de recevoir les personnes ou non peuvent être améliorés.

3- Un système de recours et de médiation en cas de conflit.  Pour que les règles du jeu soient respectées, des possibilités de recours et d’arbitrage peuvent être mises en place  pour éviter que des dynamiques d’interpellations citoyennes tournent en confilt préjudiciable aux deux parties.

SOUTENIR les associations qui accompagnent la citoyenneté active

1- Un expert public (un service public d’expertise) à disposition des associations. Sur des sujets qui réunissent assez de signataires, les citoyens organisés pourraient bénéficier d’une expertise publiquement financée pour s’appuyer sur des ingénieurs, des sociologues ou des juristes de la même manière que les décideurs peuvent s’appuyer sur des organes comme le Cerema ou des agences d’urbanisme par exemple.

2- Un fond pour la démocratie d’interpellation pourrait être expérimenté localement pour donner des moyens aux associations qui font vivre la démocratie et le débat public et limiter les inégalités entre les groupes sociaux. Sur le modèle de la CNCCFP pour les partis, il pourrait par exemple rembourser les frais engagés dans les campagnes de pétition ou de référendum local si celles-ci atteignent un certain seuil.

3- Des commissions mixtes pour l’attribution des subventions. Alors qu’aujourd’hui c’est essentiellement la majorité qui décide de l’attribution des subventions, on pourrait envisager la pluralisation de ces délibérations, en faisant participer des citoyens tirés au sort, des experts, des membres de l’opposition, etc.

... et pour assurer qu'elles soient entendues:
Cinq dispositifs pour organiser l'accueil et l'écoute des interpellations citoyennes

I. Mise en place d’un expert public d’assistance aux interpellations citoyennes

Cette fonction est à moitié de l’appui aux interpellations et à moitié un outils pour que celles-ci soient mieux entendues car mieux entendables par l’institution. Les citoyens manquent souvent d’information et de moyen pour objectiver les problèmes et injustices qui les touchent. Pour beaucoup d’entre elles, ce travail d’objectivation est une épreuve demandant un travail d’enquête lourd et l’accès aux informations auprès des institutions (mairie, bailleurs, entreprises privés, préfecture, etc…) est difficile. Plus largement, on peut pointer une inégalité forte entre des personnes diplômées et ayant des amis qui travaillent dans l’institution et des citoyens moins pourvus. Une asymétrie d’accès à l’information qui peut créer de l’inégalité politique dans la démocratie locale. 

Combien coûte la réhabilitation de cette école ? Les charges de chauffage sont-elles vraiment excessives au-delà du ressenti des locataires? Les poubelles sont-elles vraiment moins ramassées à la maladrerie qu’en centre-ville? Qu’est-ce qui fait que la police est plus présente dans certains quartiers de la ville que dans d’autres? Combien coûterait la mise en place d’un service de mobilité pour les personnes handicapées touchées par des pannes d’ascenseurs?

La plupart de ces informations sont censées être publiques. Pourtant, il est très difficile pour les citoyens d’en avoir les réponses. Avec la mise en place d’un expert public d’assistance aux interpellations citoyennes, les citoyens devraient pouvoir porter des demandes plus étayées et plus à même de contribuer à l’amélioration des services publics. L’expert public serait moins un expert des sujets qu’un expert de l’accès aux informations institutionnelles et un médiateur et garant qui assure que les citoyens puissent accéder à ces informations sur des questions. Il pourrait disposer d’un budget qui lui permettrait, si nécessaire, de faire appel à une expertise extérieure.

Le médiateur pourrait se saisir de toutes les demandes mais aurait l’obligation de le faire en cas de requêtes collectives portées par 100 personnes concernées (voir les seuils de pétition ci-dessous). On pourrait imaginer que les réponses de l’expert public soient publiées dans le journal de la Ville. (cf ci-dessous)

II. Organiser le droit d’interpellation avec le droit de pétition graduel

La démocratie, c’est d’abord des habitants qui font le choix de s’impliquer dans la vie de leur commune et de défendre leurs droits à une vie digne. À ce titre, la mobilisation des habitants, même sous la forme aussi simple que la signature d’une pétition, doit trouver une reconnaissance concrète. Nous défendons pour cela la mise en place un droit de pétition graduel :

  • Le dépôt de 50 pétitions: ouverture du droit à une négociation/ rencontre avec le responsable de service et/ou l’élu compétent en charge du sujet.
  • Le dépôt de 100 pétitions: ouverture du droit à l’assistance d’expertise public (voir ci-dessus)
  • Le dépôt de 250 pétitions : ouverture du droit à une assemblée publique d’interpellation avec des élus et services en responsables sur la question
  • Le dépôt de 1000 pétitions: ouverture du droit à demander la mise en place d’un référendum.

III. Les assemblées d’interpellation citoyenne

Inspirées des “assemblées des comptes-à-rendre” (accountability sessions) dans les démocraties anglo-saxonnes, ces assemblées sont co-préparées en amont par les services et les associations ou collectifs citoyens porteurs d’interpellations. Partant du principe que les citoyens ont des attentes vis-à-vis de l’action publique, que les élus et services ont une vision mais aussi des contraintes de gestion, des contradictions et conflits potentiels peuvent exister. Les assemblées d’interpellations sont des espaces de négociation publique qui permettent à la fois une pédagogie de la gestion publique et à la fois une reconnaissance et légitimation des demandes citoyennes pour tenter de trouver des solutions créatives aux problèmes identifiés. 

IV. Des fonctions d’arbitre et de médiateur pour réguler les dynamiques d’interpellation sur le territoire

Certaines fonctions permettent d’assurer plus de fluidité dans l’accueil des interpellations. Elles accompagnent les citoyens dans l’institutions,  organisent les échanges avec les agents ou élus parfois en difficulté avec l’aspect revendicatif et les colères exprimées, et aident à résoudre les conflits qui émergent. Parmi les fonctions possibles: 

    • Un ou plusieurs “garants locaux des débats citoyens” sur le modèle des garants de la CNDP chargés d’assurer la qualité du débat public et de protéger contre les attaques abusives qui viennent parfois le parasiter. Cette fonction peut s’articuler avec une Commission Locale du Débat Public (CLDP), chargée d’assurer des processus de médiation et de concertation, s’assurant de l’équilibre entre les parties prenantes du conflit.
    • Un médiateur ou négociateur public pour assurer un dialogue et qu’il prenne la forme d’une négociation constructive qui cherche reconnaître les contradictions et accompagne la recherche de solutions pour résoudre les conflits.

V. Un espace pour les interpellations citoyennes dans le journal de la ville 

Les journaux municipaux sont encore trop des outils de communication institutionnelle plutôt que des espaces d’expression démocratique. En accordant une place aux interpellations citoyennes dans ces journaux, ils contribueraient à la transparence et à la richesse du débat public.  

Toute pétition de plus de 50 signataire donne l’occasion à un article dans le journal expliquant les enjeux de l’interpellation. 

Une charte éditorial s’assurerait la nature respectueuse des expressions publiques.