Reconnaître les entraves aux interpellations citoyennes pour mieux les protéger et les encourager​

Observatoire des libertés associatives Rapport : "Une citoyenneté réprimée" ​

Les cas de restriction de libertés des associations portant des interpellations citoyennes par les autorités publiques locales et nationales sont nombreux et trop peu reconnus comme un problème. Cela a incité plusieurs associations concernées à constituer à partir de mars 2019 un Observatoire des libertés associatives. Cet outil doit donner une visibilité large à un phénomène souvent occulté, presque ignoré par les médias, banalisé par le politique et parfois intériorisé par les associations elles-mêmes. 
Le rapport « Une citoyenneté réprimée » présente 100 cas de restrictions associatives et 12 pistes pour protéger les libertés.

L’Observatoire des Libertés Associatives est un projet porté par la Coalition pour les Libertés Associatives qui rassemble plusieurs associations et fédérations d’associations parmi lesquelles la Ligue des Droits de l’Homme, France Nature Environnement, la Coordination Pas Sans Nous, Voxpublic, etc. En 2018, la Coalition a délégué à l’Institut Alinsky la réalisation d’un rapport sur les entraves aux libertés associatives, paru en octobre 2020. Depuis, l’institut, sous la houlette de Julien Talpin, approfondi ce premier travail tandis que la Coalition mène le plaidoyer qui s’en nourrit.

L’analyse de 100 cas d’associations sanctionnées après des actions collectives critiques des pouvoirs publics trace les contours d’une citoyenneté réprimée. En documentant une réalité mêlant coupes-sanction de subvention, disqualification publique, poursuites-bâillon ou harcèlement policier, ce rapport décrit ce qui apparaît comme une tentation des autorités d’entraver la contradiction. Il propose des pistes pour que les pouvoirs publics acceptent les désaccords avec les acteurs associatifs et reconnaissent que les paroles collectives critiques sont indispensables au fonctionnement démocratique et, ce faisant, qu’elles méritent d’être soutenues et protégées.

En mars 2019 une coalition d’associations s’est réunie pour constituer un Observatoire des libertés associatives. Appuyé par une équipe de chercheurs en sciences sociales, il vise à documenter de façon systématique les atteintes aux libertés associatives dans la France contemporaine. Une enquête de plusieurs mois, via des dizaines d’entretiens, le recueil d’archives et de documents internes et des revues de presse a permis de mettre en évidence 100 cas d’associations, de droit ou de fait, dont les activités ont été réprimées, restreintes voire entravées par les pouvoirs publics.

Les fonctions démocratiques des associations de veille, d’information critique, d’alerte ou d’interpellation des institutions publiques sont connues. Elles sont insuffisamment protégées. Les libertés associatives de base, telles que codifiées dans la loi 1901 (liberté de créer ou d’adhérer à une association et d’exercer des activités dans ce cadre) sont un socle fondamental solide et bien codifié en France. Mais ce n’est pas le cas de la composante « citoyenne » et proprement démocratique des activités associatives conçue comme la participation collective aux décisions, actions publiques et règles qui régissent la cité.

Il existe pourtant de multiples formes de répression des mobilisations associatives qui entravent leurs activités démocratiques et contribuent au quotidien à la démobilisation citoyenne.

 

Mise-au-ban
Matérielle
Justice
Police

Dans ce rapport nous distinguons 4 types d’entraves aux libertés associatives même si nombre des cas recensés sont touchés, simultanément, par plusieurs de ces restrictions :

  • Les entraves discursives et disqualifications prennent la forme d’une disqualification des acteurs associatifs, d’une attaque réputationnelle, voire d’une mise au ban des espaces de concertation.
  • Les entraves matérielles relèvent des coupes de subvention sanctions et des difficultés à accéder à des locaux pour se réunir.
  • Les entraves judiciaires rassemblent l’ensemble des plaintes, amendes et procès intentés contre des militants associatifs et des entraves administratives constituées par exemple par des refus d’agrément.
  • Les entraves policières concernent les formes de répression physique de l’action collective, mais aussi les perquisitions et les arrestations.

Douze propositions pour protéger les libertés associatives et construire un environnement favorable à la démocratie d'interpellation

Préconisation n°1 : Mettre en place une procédure de reconnaissance pour mieux protéger les associations

La fonction démocratique des associations en matière de défense des droits et d’intervention dans le débat public n’est pas reconnue officiellement, ni considérée comme contribuant à l’intérêt général, tel que défini dans la loi française. Cette absence de reconnaissance peut favoriser la négation de ce rôle critique et favoriser les pratiques répressives qui l’accompagnent. Une meilleure reconnaissance publique de cette fonction est nécessaire pour apporter une meilleure protection et pour mieux valoriser les milliers de citoyens qui s’engagent dans ces associations.

Les activités qui rentrent dans ce cadre sont relativement spécifiques : ce sont des prises de paroles publiques, des campagnes des pétitions, la publication d’enquêtes citoyennes et de contre-expertises, le dépôt de recours juridiques, l’organisation de rassemblements, de manifestations, ou d’actions non-violentes. Ces activités de plaidoyer sont complémentaires aux partis politiques qui contribuent à la démocratie par la construction de programme et l’animation du jeu électoral. Elles cherchent à nourrir le débat public en dehors des institutions, souvent en faisant entendre des voix minoritaires ou les droits de personnes insuffisamment prises en compte par les autorités publiques. Sur le fond, leur rôle s’apparente à celui de défenseur des droits humains défini par les Nations Unies comme des personnes physiques ou morales qui, par des moyens non violents, promeuvent et protègent les droits fondamentaux.  

Comment formaliser cette reconnaissance ? 

Nous proposons un mécanisme officiel pour reconnaître les associations qui remplissent cette fonction. Un principe déclaratif peut être construit sur le modèle de la procédure pour les associations ou entreprises qui mènent des activités de formation. Un texte doit définir au préalable les activités concernées et les conditions éventuelles. Ensuite, toute association menant des activités de plaidoyer dans le débat public pourrait déposer auprès de l’autorité administrative une déclaration d’activités décrivant les actions réalisées. On peut imaginer également d’autres approches, sur le modèle du statut de lanceur d’alerte qu’il est possible d’élargir aux personnes morales. La loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II, a abrogé certaines dispositions de la loi Blandin du 16 avril 2013 afin d’adopter un statut commun protecteur du lanceur d’alerte, plus généraliste – celui-ci n’est plus circonscrit à l’alerte sanitaire et environnementale. Elle a cependant considérablement affaibli les dispositions prévues par la loi Blandin en excluant du champ de la protection les personnes morales (associations, ONG, syndicats) et les individus sans lien professionnel avec l’organisme mis en cause (riverains, consommateurs…) dits lanceurs externes. Il est nécessaire de reconnaitre le rôle des associations qui sont souvent en première ligne pour signaler les abus de pouvoir et violations des droits.

A quoi servirait cette reconnaissance publique ? 

Elle permettrait tout d’abord de rassurer et de légitimer les citoyens qui s’engagent. Elle pourrait ensuite comme pour les lanceurs d’alerte garantir la nullité des représailles et offrir des protections face aux sanctions comme celles documentées dans ce rapport (dénigrement public, coupes de subvention, poursuites judiciaires…). Ce statut pourrait également faciliter l’accès à des formations ou des financements spécifiques que nous détaillons dans les propositions suivantes.

Préconisation 2 : Renforcer la visibilité des prérogatives du Défenseur des droits pour les personnes morales

L’objectif de cette préconisation est de renforcer le rôle que le Défenseur des droits (DDD) peut jouer pour défendre les libertés associatives, notamment en améliorant la visibilité à ce sujet. Les associations semblent néanmoins méconnaître la compétence du Défenseur des droits à être saisi par des personnes morales pour promouvoir le respect des libertés associatives. En effet, le Défenseur des droits peut être saisi par une personne morale lorsqu‘une décision ou un comportement d‘une autorité publique est suspecté de violer l’un de ses droits ou de la discriminer. A ce jour, les personnes morales n’ont quasiment jamais saisi le DDD lorsqu‘elles ont fait face à une telle situation.

Il nous semble, au regard des réalités documentées par ce rapport, que le Défenseur des droits devrait renforcer sa communication sur sa possibilité de saisine par les personnes morales, notamment au travers de ses outils numériques, de campagnes de communication, de son réseau de délégués sur le territoire.

 

Préconisation n°3 : Instituer des “garants des débats citoyens” chargés d’assurer la qualité du débat et de protéger contre les attaques personnelles abusives

L’objectif de cette préconisation est de limiter les discours et pratiques disqualifiantes qui détériorent le débat public.

Qu’elles émergent à la suite d’une mobilisation de citoyens à propos d’une opération de rénovation urbaine à Roubaix ou Poissy, au sujet des modalités de dragage d’un lac à Hossegor, des pratiques des centres de dialyse pour les malades rénaux à la Réunion, ou sur les comportements des policiers dans le cas de contrôle ou d’arrestations de personnes de couleurs, les controverses publiques parfois relayées par des médias sont la preuve d’une démocratie vivante. Mais leur vigueur entraîne des abus illustrés par les cas précédemment cités : attaques personnelles, disqualification des voix critiques ou ostracisation de certains acteurs viennent limiter la qualité de la délibération dans le débat public. Pour que les décisions publiques soient orientées vers le bien commun, il est nécessaire qu’elles découlent d’un échange d’arguments avec la gamme la plus large possible des acteurs et des positions. C’est sur cette base, par exemple, qu’a été conçu le processus de concertation mis en oeuvre par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) mise en place par la loi Barnier de 1995. Dans des cas comme celui des attaques du maire d’Hossegor sur la porte-parole d’une association environnementale (voir fiche n°66) ou l’exclusion de l’association de patients Renaloo (voir fiche n°31) mentionnés au chapitre 2, les membres des associations victimes peuvent se retrouver marginalisés et leur parole déconsidérée après les attaques réputationnelles ou la mise au ban dont elles font l’objet. 

Une partie de ces attaques peut relever de la diffamation et justifier des recours en justice. Mais les délais de la justice sont en décalage avec la temporalité du débat public. Pour éviter un tel écueil, on pourrait imaginer un arbitre, maîtrisant les règles et bonnes pratiques du débat public, à même de faire des rappels à l’ordre et des recadrages en cas d’attaques personnelles et de disqualification abusive entravant la qualité du débat public.

La Commission nationale du Débat public (CNDP) a institué des garants du débat public chargés entre autre de veiller à la qualité, la sincérité et l’intelligibilité des informations diffusées au public ainsi qu’au bon déroulement de la concertation. Cependant, le rôle de ces garants est limité aux procédures de débat public encadrées par la CNDP autour des projets d’aménagement ou d’équipement (voir article L. 121 du Code de l’Environnement). Dans ce cadre, sa saisine est possible notamment pour les associations agréées associations de protection de l’environnement (art. L. 121-8). 

Pour élargir le champ d’intervention des garants et en faire une ressource pour les associations, il est d’abord nécessaire d’élargir la notion de débat public définie dans la loi de 1995 pour y inclure des débats lancés à partir d’une initiative citoyenne sur tout type de sujet qui touche l’action publique. Dans le cadre de projets d’aménagement par exemple, il s’agirait de ne pas caractériser comme débat public uniquement les débats initiés par les maîtres d’oeuvre. Une telle démarche impliquerait ensuite la formalisation des règles des débats publics initiés par les citoyens qualifiés ici de « débat citoyens ». Cette mission pourrait être confiée à une commission mixte mêlant des parlementaires et des chercheurs membres du Groupement d’Intérêt Scientifique (GIS) « Démocratie et Participation ».  

La fonction de garant pourrait être mise en place par l’extension du mandat des garants du débat public tels qu’institués sous tutelle de la CNDP. Ou alors par la mise en place d’une nouvelle fonction d’ « arbitre du débat démocratique », construite sur le modèle des deux premières fonctions évoquées mais existant distinctement. La commission mixte évoquée ci-dessus pourrait évaluer avec la CNDP de l’intérêt et la possibilité d’élargir ses prérogatives dans ce sens. 

Dans le cas où des situations telles que celles documentées dans ce rapport se produiraient, les arbitres pourraient rappeler à l’ordre les autorités auteures de propos de nature blessante ou disqualifiante, rappeler les règles du débat public et se mettre à la disposition des participants comme instance de recours possible en cas de désaccord pour jouer un rôle de médiation et éventuellement rédiger et publier un avis. Sans effet juridique contraignant, ces derniers pourraient réhabiliter symboliquement les victimes d’attaques personnelles en les reconnaissant comme telles et en rappelant à l’ordre l’auteur d’éventuels abus. Ils constitueraient aussi une ressource symbolique pour contester l’éventuelle mise au ban et pourraient contribuer ainsi à annuler en partie l’effet des disqualifications. Plus largement, leur présence aurait vocation à faire évoluer la norme des débats et à prévenir à terme ces situations.

 



Préconisation n°4 : Une justification renforcée et une procédure de protection en cas de soupçon de coupe-sanction de subvention

L’objectif de cette préconisation est de limiter les coupes-sanctions de subvention pour renforcer la liberté de parole des associations

Plusieurs situations documentées mettent en lumière les décisions de collectivités territoriales ou de ministères de mettre fin à une subvention après des prises de paroles critiques de la part des associations. Ces coupe-sanctions de subvention impactent largement le monde associatif en générant des stratégies d’auto-censure au-delà des acteurs directement concernés par les éventuelles coupes. Le risque d’arbitraire peut être limité par une exigence des justifications plus solides et la possibilité de recours en cas de coupe. 

La justification du refus ou de la coupe de subvention mérite d’être plus étoffée qu’une phrase générique telle « en dépit de l’intérêt de votre projet, nos services n’ont pas pu donner suite à votre demande ». La justification de la décision par l’autorité publique devra s’appuyer sur des éléments procéduraux (non-respect des délais, du cadre imparti, etc.) ou substantiels (expliciter en quoi la qualité du projet est insuffisante ou ne répond pas à certains objectifs explicites, par rapport aux projets retenus et émanant d’autres acteurs). 

Plus généralement, quand une coupe de subvention publique arrive consécutivement à des activités ou prises de positions critiques, une possibilité de recours doit être ouverte pour vérifier qu’il ne s’agisse pas d’une sanction. Dans la continuité de la première préconisation, on pourrait imaginer que les associations reconnues pour leurs activités de plaidoyer et d’intervention dans le débat public soient « protégées » contre les coupes-sanction par le biais d’une procédure inspirée de l’encadrement des licenciements des salariés protégés (délégués syndicaux notamment). Dans un cas de coupe de subvention visant une association spécifique (et pas tout un secteur d’action publique), un entretien devra donner lieu à l’exposé des motifs, en présence d’acteur-tiers invités par chaque partie. Le procès-verbal de cet entretien sera transmis à l’arbitre des débats publics (voir préconisation n°2). L’association pourra  aussi saisir le délégué local du Défenseur des droits. Si le DDD, après enquête contradictoire et vérifications, émet un avis pointant du doigt une violation des droits de l’association, l’institution publique devra délibérer une nouvelle fois de l’octroi de la subvention pour revenir sur sa décision précédente ou la confirmer.



 

Préconisation n°5 : Clarifier et faciliter l’accès à l’aide juridictionnelle pour les personnes morales à but non lucratif afin de financer les recours en justice

L’objectif de cette préconisation est de permettre aux associations de se défendre en justice lorsqu’elles sont attaquées à cause de la nature de leurs activités ou lorsqu’elles s’estiment victimes de sanctions abusives.

Nous avons vu en quoi la multitude d’attaques en diffamation et de plaintes diverses pouvaient constituer un frein important au travail d’interpellation des associations. Si les plaintes déposées débouchent fréquemment sur des décisions de non poursuite ou des non-lieux, elles induisent des coûts humains, temporels et financiers importants pour les associations. Pour limiter ces coûts excessifs, les associations qui en ont besoin doivent pouvoir bénéficier de l’Aide Juridictionnelle (AJ) qui garantit l’égalité devant le service public de justice. L’AJ pourra encourager les recours face à d’éventuelles sanctions jugées abusives par les associations, de manière à créer la jurisprudence susceptible de renforcer la protection des libertés démocratiques des associations. 

Les petites associations dotées de peu de moyens ont déjà le droit de recourir à l’aide juridictionnelle. Selon l’article 2 de la loi du 10 juillet 1991, l’AJ peut être exceptionnellement accordée aux personnes morales à but non lucratif si elles ne disposent pas de ressources suffisantes. Les critères de recevabilité des associations sont cependant opaques ce qui est de nature à décourager les associations d’en faire la demande. Nous avons recensé plusieurs cas de refus d’AJ pour des petites associations qui s’avéraient infondés. 

Nous recommandons ici de définir les plafonds d’admission et un barème sur le modèle de ce qui est défini pour les personnes physiques mais avec une grille adaptée à la réalité des associations. Ce barème sera communiqué à tous les bureaux d’aide juridictionnelle et rendu public pour permettre aux associations de mieux connaître leurs droits et encourager les recours en cas de sanctions abusives ou dans le cas de plaintes visant l’association.

 



Préconisation n°6 : Protéger les associations contre les procédures juridiques visant à les empêcher de contribuer à des questions d’intérêt public

L’objectif de cette préconisation est de créer un cadre légal pour protéger les associations d’attaques abusives.

En France, en dehors de l’intervention fréquente de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en matière de protection du droit à la participation au débat public et du droit à la liberté d’expression, aucun mécanisme spécifique ne vient encadrer les poursuites judiciaires altérant le débat public (“procès-bâillons”), alors même que leur récurrence, de plus en plus remarquée, fait l’objet d’un intérêt croissant, et qu’elles impliquent une variété significative de parties prenantes et de contextes.

Aux États-Unis et au Canada, la pratique de plaintes ou procédures abusives visant les associations de défense des droits – qualifiées de SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation) ou procès-bâillons a été reconnue comme un problème entravant l’action citoyenne. Plusieurs États ont réagi afin de protéger la « participation du public » des entraves institutionnelles ou privées. A titre d’exemple, l’État canadien de l’Ontario a promulgué en 2013 le « Protection of Public Participation Act » (Bill 83), qui permet de rejeter les procédures judiciaires limitant le débat public, puis le « Protection of Public Participation Act » (bill 52) en 2015. Cette loi institue une procédure permettant aux associations visées de demander un rejet rapide des poursuites judiciaires dont elles seraient la cible et de l’obtenir (dans un délai de 60 jours) si le juge est convaincu que la plainte découle “d’une expression de l’accusé relative à une question d’intérêt général. Nous recommandons la mise en place d’une procédure similaire en France.

 

Préconisation n°7 : Mieux surveiller et contrôler les pratiques policières

L‘objectif de cette préconisation est d‘encourager la mise en place d‘un organe indépendant pour enquêter sur les faits potentiellement abusifs commis par les forces de l‘ordre, notamment, eu égard à l’objet de ce rapport, quand ces abus concernent les activités relevant de la citoyenneté collective. Des pratiques des forces de l’ordre sont régulièrement pointées du doigt comme entravant excessivement le droit de manifester ou le droit de réunion. Des formes de harcèlement policier à l‘encontre de militants et bénévoles associatifs ont également été décrites dans les cas n°26, 63, 67, 54. 

Plusieurs associations françaises, la Ligue des Droits de l’homme, Amnesty International France, l‘ACAT-France et d’autres réclament depuis longtemps la création d‘un organe indépendant, pour enquêter sur les plaintes visant des agents de la force publique. En effet, l’IGPN  et l’IGGN  sont critiqués pour leur manque d’indépendance, l’IGPN étant à l’entière charge des policiers eux-mêmes. Quand bien même la transparence de ses procédures s’est accrue ces dernières années, à la fois via la publication d’un rapport annuel et la possibilité de la saisir via son site internet, transparence et indépendance sont deux choses différentes. Dans son dernier rapport, paru en mars 2019, l‘ACAT-France plaide “pour la création d’un organe d’enquête indépendant à même de répondre aux exigences d’impartialité, d’effectivité et de célérité imposées par le droit international”. Ce rapport rappelle que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) du Conseil de l‘Europe, recommandait au début des années 2000, la “création d’organes d’enquête entièrement indépendants, qui pourraient être saisis directement par tout individu”. 

Un tel organe pourrait aussi avoir un droit de regard sur les actions menées par des forces de l’ordre, à l’image du Policing Board d’Irlande du Nord qui “a un droit de regard sur les conséquences des opérations de police, notamment par le biais de réunions publiques mensuelles”. Celui-ci est composé de parlementaires et de citoyen.nes indépendants nommé.es par le ministère de la Justice.

Nous préconisons, ainsi, à titre principal la mise en place d‘un organisme indépendant en France. Il pourrait s’inspirer de l’Office indépendant du comportement policier (Independant Office for Police Conduct, IOPC) au Royaume-Uni, qui peut s’autosaisir, ne rend pas de comptes à l’exécutif, dispose de son propre budget, de ses enquêteurs, qui ne sont pas rattachés à un service de police, et ses directeurs ne peuvent pas être des policiers. Une autre option, qui nous semble cependant moins souhaitable, serait d’inclure dans la composition des organes de contrôle existants (IGPN et IGGN) des magistrats et des avocats, ainsi que la présence de citoyen.nes, à l’instar de l’Autorité indépendante pour les plaintes à l’encontre de la police, créée en 2012 au Danemark. Un tel organe collégial serait un gage pour regagner la confiance des citoyens et un atout pour dénoncer notamment les pratiques ciblées et répétées qui entravent l‘exercice des libertés collectives.

 



Préconisation n°8 : Faciliter les dons aux associations citoyennes en reconnaissant les activités de contribution au débat public et de défense des droits comme étant d’intérêt général

L’objectif de cette préconisation est de favoriser le soutien financier en faveur des associations qui participent activement au débat démocratique.

Aujourd’hui, les activités de contribution au débat public et de défense des droits ne sont pas des critères pour être reconnu d’intérêt général. Contrairement aux activités de presse ou de campagne électorale, elles n’ouvrent pas droit à une déduction fiscale ou un crédit d’impôt. 

Cette anomalie peut être corrigée. Il est possible d’intégrer les notions de “débat démocratique” et de “défense des droits humains” dans la liste caractérisant un organisme d’intérêt général présentée à l’article 200 du Code Général des Impôts. Une nouvelle formulation pourrait être la suivante : “… organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant au débat démocratique, à la défense des droits humains, à la mise en valeur du patrimoine artistique, (…) à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises.”



 

Préconisation n°9 : Instaurer un fonds pour le droit d’interpellation citoyenne géré par une autorité administrative indépendante

L’objectif de cette préconisation est de créer un système de financement indépendant des intérêts politiques.

Cette idée était la première proposition du rapport remis en juillet 2013 au ministre délégué à la Ville de juillet 2013 co-signé par Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache . Un tel fonds a pour « objectif de soutenir la prise de parole citoyenne pour sa contribution au débat démocratique et de permettre que se structure la parole de ceux qui ne l’ont pas » était-il alors souligné. 

Pour le financement des partis politiques, le principal critère pris en compte est le nombre de voix récolté aux élections. Pour les aides à la presse, les critères déterminants sont, entre autres, le nombre d’exemplaires diffusés ou le montant des recettes publicitaires. Il n’appartient pas à ce rapport de présenter une réflexion aboutie sur les possibilités d’objectiver les activités de défense des droits dans le débat public. Celles-ci pourraient néanmoins prendre en compte le nombre de signataires des pétitions, le nombre de personnes participant aux manifestations ou la capacité à respecter un cadre de non-violence. Il conviendrait néanmoins de parvenir à objectiver la contribution au débat public sans privilégier structurellement les plus grosses associations dont les capacités de mobilisation sont, de fait, plus importantes. Cette mission pourrait être confiée à une commission indépendante et mixte – composée de citoyens tirés au sort, d’universitaires, de hauts fonctionnaires, de membres du monde associatif dans sa grande diversité et de parlementaires.

A l’image de la proposition du 1% citoyen pour financer la contre-expertise citoyenne dans le cadre des projets de rénovation urbaine portée par l’association APPUII, on pourrait imaginer qu’une partie de ce fonds soit dédié spécifiquement aux actions associatives en lien avec des projets d’aménagement et d’infrastructure qui suscite des controverses importantes. Une partie du fonds pourrait être à la fois fléché sur ces débats et alimenté par un prélèvement sur ces opérations (idée du 1%). Il permettrait notamment de doter les citoyens d’une capacité d’expertise indépendante à même de nourrir la délibération démocratique sur ces grands projets.

 

Préconisation n°10 : Favoriser les financements pluriannuels

L’objectif de cette préconisation est de soutenir les petites associations qui ont peu de capacité administrative mais jouent un rôle localement dans la vie citoyenne.

Si cette proposition ne semble pas concerner les entraves aux libertés démocratiques des associations telles que nous les avons définies, on peut néanmoins considérer que certaines modalités de financement peuvent être discriminantes pour certains acteurs associatifs et ainsi constituer des entraves – même indirectes – au déploiement de leurs activités. Ainsi, le fonctionnement par appel à projet à court terme, par le temps de travail induit pour y répondre convenablement et la technicité qu’il requiert défavorise structurellement les petites associations peu professionnalisées. Parce que ces petites associations sont souvent celles qui permettent de faire entendre les voix les plus inaudibles dans notre société, il est essentiel de les soutenir, y compris matériellement. À ce titre, un principe pourrait guider les modalités de financement de la vie associative : définir des procédures qui privilégient, notamment pour les acteurs les moins solides financièrement, des modalités de financement pluriannuels qui accompagnent leur développement et allègent leur charge de travail administratif afin de pouvoir se consacrer à leur mission.

Préconisation n°11 : Créer des commissions mixtes d’attribution des subventions dans toutes les collectivités territoriales finançant des acteurs associatifs

L’objectif de cette préconisation est d’insérer du pluralisme dans les procédures  d’attribution des subventions aux associations, en les ouvrant aux élus de l’opposition et à des citoyens tirés au sort. 

Une des sources des entraves matérielles repérées tient aux modalités d’attribution des subventions, qui relèvent quasi-exclusivement des exécutifs au sein des collectivités territoriales (personnes élues en charge de la vie associative, maires, présidents de conseil départemental ou régional, etc.). Les élus se fondent sur des analyses préparées par leurs services ainsi que les délégués du préfet. Les coupes de subvention sanction que nous avons identifiées tiennent, pour partie, à l’absence de pluralisme dans l’attribution ou le retrait des subventions. A ce titre, on pourrait imager la création de commissions mixtes, composées d’élus de la majorité et de l’opposition, de citoyens tirés au sort, de techniciens et représentants de l’Etat, chargés de statuer de l’utilité sociale des projets associatifs proposés. Ce pluralisme et la transparence qui l’accompagne permettrait de sortir des formes d’arbitraire exposé dans ce rapport. Il s’agirait alors d’appliquer, à l’échelle locale, les principes guidant la philosophie du fonds d’interpellation citoyenne à l’échelle nationale.

 

Préconisation n°12 : Elargir et approfondir l’analyse ouverte dans ce rapport par la création d’une mission d’information parlementaire

Au vu des multiples exemples de limitations des libertés associatives documentées dans ce rapport, et des actions législatives qu’elles requièrent pour être levées, les associations appellent les députés et sénateurs intéressés par le sujet des libertés associatives  à soumettre à une des commissions permanentes de l’Assemblée nationale (commission des Affaires sociales ou commission des Affaires culturelles ou commission des Lois) ou à la conférence des Présidents de l’Assemblée nationale une demande de création d’une mission d’information qui aurait pour objet de faire un état des lieux de l’exercice des libertés associatives en France. Cette mission pourrait se donner comme objectif de faire le point – par exemple sur une base annuelle – sur la manière dont est respectée la lettre et l’esprit de la loi dite de 1901 qui consacre la liberté d’association en France.

Cette mission d’information pourrait aboutir à un rapport d’information parlementaire qui constituerait un document de référence sur l’état des libertés associatives en France, des menaces qui pèsent sur elles et des mesures à prendre pour garantir l’exercice du droit d’association, en particulier dans sa fonction d’interpellation et de critique des autorités publiques.

 

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