La mobilisation des usagers transforme le CCAS de La Rochelle
Au centre communal d’action sociale de La Rochelle (CCAS), les méthodes d’organisation de la communauté des usagers, inspirées de Saul Alinsky, permettent l’interpellation permanente de l’institution et l’amélioration continue des dispositifs et des pratiques des professionnels.
Lors de sa première participation à une réunion du comité d’usagers, Jeanne raconte comment le comportement des aides à domicile envoyées par le CCAS la fait souffrir. Elle décrit son impression d’être traitée, à cause de son âge ou de son handicap, comme un être décérébré, de voir ses demandes perçues comme une sorte de démence. « Quand la personne part et que ça s’est mal passé, vous pleurez, et vous pleurez seule. Vos murs, ils ne vous entendent pas. Vous prenez votre téléphone, mais on n’a pas le temps ou pas l’envie de vous entendre. » D’autres témoignages émergent, sur la même problématique. « Les repas de ma voisine, rapporte Danièle, lui sont parfois livrés à 11h45 et parfois à 14h15. Il y a peu, elle a tapé à ma porte à 14h, un peu hagarde, parce qu’elle avait faim. » Le comité décide d’enquêter auprès d’un plus grand nombre d’usagers pour interpeller la direction et les professionnels et corriger les possibles dysfonctionnements de l’institution.
Cela fait bientôt trois ans que le comité des usagers du CCAS de la Rochelle a été constitué, réunissant entre quinze et trente membres chaque mois. Bénéficiaires des prestations sociales du CCAS, ces personnes ont pour mission de transformer leur vécu et leurs colères en améliorations du service public. À partir de leur propre expérience ou des paroles recueillies auprès des autres usagers, elles définissent des sujets prioritaires, mènent des enquêtes citoyennes, construisent des propositions et se préparent à négocier avec les professionnels et les membres du conseil d’administration. « C’était une décision éminemment politique de faire participer les usagers à la vie de l’institution de cette manière », rapporte Maria de Brito, responsable du pôle action sociale et innovation du CCAS et mandatée pour mettre en place le comité. Un appel à volontaires est adressé par courrier à l’ensemble des usagers : 4000 envois, 150 réponses positives. Un tirage au sort, pondéré par quartier de résidence et par genre, désigne alors les trente premiers membres.
Le CCAS a choisi de confier l’animation du comité à l’institut de formation Saul Alinsky, lié à l’Alliance citoyenne, association qui organise les communautés d’habitants de quartiers et d’usagers des services publics à l’échelle locale dans les régions de Grenoble, Lyon et Paris. « Faire appel à l’expérience de l’Alliance citoyenne pouvait être une prise de risque, affirme Maria de Brito. Ils vont chercher les insatisfactions et les colères. Néanmoins, nous voulions aller au bout de notre démarche, quitte à être complètement atypiques. » Yoan Pinaud, formateur de l’institut Alinsky, en charge du comité d’usagers depuis janvier 2018, corrobore : « Le comité est une incarnation du pouvoir des usagers sur l’action publique qui les concerne. Il est une force démocratique qui peut bousculer le cadre si nécessaire. »
L’organisation des communautés d’usagers-citoyens articule la transformation institutionnelle, le développement du collectif et l’émancipation individuelle. « Il est nécessaire de favoriser et même d’organiser la capacité des usagers à exercer eux-mêmes une pression correctrice sur les institutions », explique Adrien Roux, de l’institut Alinsky. « Toutes sont sujettes aux dysfonctionnements et aux abus. La démodynamie, puissance (dynamis) populaire (démos) en action, transforme les institutions par le bas. » Elle mêle ainsi la logique de négociation collective d’Alinsky à la pédagogie des opprimés de Paulo Freire, où l’apprentissage se fait entre pairs. « C’était un souhait du conseil d’administration de fournir un espace d’autonomie au comité, hors du CCAS, sans professionnels ni administrateurs de l’institution », souligne Maria de Brito.