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28 mars 2021

14 janvier 2022

Le rôle des intermédiaires dans la co-production de l’action publique, par Olivier Noël


« Ces positions d’intermédiaires sont délicates, mais absolument nécessaires pour tisser le lien entre populations et institutions. Le rôle des intermédiaires est d’accepter les expressions les plus radicales, les manières de formuler déstabilisantes, mais qui correspondent parfois le plus justement au vécu des personnes. Certains professionnels considèrent que les personnes qu’ils rencontrent parlent d’une manière inacceptable, posent des problèmes qui n’en sont pas, bref, que ces personnes ne leur conviennent pas. Mais c’est justement leur rôle de construire une action à partir la parole des habitants. Pas en étant forcément d’accord, mais en s’appuyant sur ce qu’ils disent pour construire un projet social. À eux de permettre que ces énonciations soit comprises, de travailler à leur politisation, et non de les censurer.
La situation serait bien pire si il n’y avait pas d’interpellation ! Il faut savoir accepter, dans de tels processus, d’être bousculé, remis en cause. Tant qu’il y a de la vivacité, de la vie politique, du conflit, il y a de l’espoir, et on peut construire des énonciations plus explicites, dont le politique va pouvoir se saisir pour construire des projets. Au contraire, quand il n’y a plus d’interpellation c’est terminé. La colère devient révoltes urbaines, dont la dimension politique est beaucoup plus obscure et délicate à saisir pour le politique. Le risque est grand de voir des gens qui veulent changer les choses, totalement désespérés, tomber dans les bras de ceux qui les instrumentalisent à souhait, et qui les encourageront au contraire à couper complètement les ponts avec les institutions. Les différents intermédiaires créent un continuum entre ces différents espaces sociaux en reconnaissant les énoncés de chacun, pour viser ensuite des actions pratiques. Malheureusement, les professionnels sont souvent inquiets de s’engager dans ce type de démarches. »

https://www.millenaire3.com/Interview/2015/Co-produire-une-politique-publique-l-exemple-du-traitement-public-des-discriminations

7 juillet 2021

Quelle articulation entre les groupes d’intérêts (syndicats) et les assemblées délibératives ? échanges avec Hugo Bonin

Deux types d’articulation sont possibles:

  • Quand l’assemblée devient un syndicat
    1. En amont : on peut avoir le cas d’une « assemblée » tirée au sort au sein d’une communauté d’intérêt. Par exemple : l’assemblée des usagers du CCAS de la Rochelle incarne un intérêt collectif susceptible de produire des revendications vis-à-vis du CCAS. Idem pour une assemblée citoyenne à l’échelle d’un quartier qui réunit
    2. En aval : quand l’assemblée s’est constitué en groupe et qu’elle est confrontée à de l’adversité, où ses propositions sont rejetées (c’est le cas de la Convention Citoyenne pour le Climat qui s’est mué en groupe d’influence pour défendre ses propositions)
  • Quand le syndicat influence l’assemblée (car il considère que cette assemblée est décisionnaire ou est en capacité d’influencer le décideur final)
    1. Interventions des experts/ groupes d’intérêts devant l’assemblée
    2. ..
Tentative d’analyse différenciée de trois formes d’assemblée collective

 

Assemblée citoyenne

Parlement

Syndicat/ Assemblée syndicale

Amont

 

Pas d’opinion structurée en amont

Opinion construite dans le parti

« Opinion » subordonnée aux intérêts collectifs du groupe

Légitimité symbolique octroyée

Légitimité électorale (fiction de la représentation)

Légitimité par le nombre

Pendant

Délibération

Débat

Négociation

Aval

Rapport/ propositions

Décision (souveraine)

Accord

Les conventions citoyennes ou comment le politique arbitre l’économique:

Pour imaginer cela, on va dans un premier temps se restreindre aux groupes d’intérêts réunis autour d’intérêts matériels (les agriculteurs comme experts de l’agriculture, …) ou d’intérêts collectifs incarnés : les écologistes, les cyclistes vs automobilistes, les parents d’élèves… On conceptualise abusivement une distinction entre intérêts matériels (économie) et débat d’idées (politique).

Pour décider de la politique de stationnement dans une ville on peut alors imaginer :

  • Chaque groupe fait un plaidoyer devant l’autorité gestionnaire élue
  • Mise en place d’une assemblée citoyenne conçue comme détachée des intérêts matériels et qui va délibérer sur le sujet après avoir écouté : 1/ les trois groupes d’intérêts, 2/ des experts (présupposés eux aussi comme détachés des intérêts matériels).
  • Assemblée populaire/ agora construite comme un ring de négociations directes entre automobilistes, piétons et cyclistes sur l’usage des espaces (stationnement, espaces verts, pistes cyclables)

Trois modalités d’implication des citoyens :

  • Ils votent pour l’autorité gestionnaire qui aura le pouvoir d’arbitrage (un peu comme si le public du stade votait pour le choix de l’arbitre en début de matche)
  • Ils s’impliquent/ sont recrutés par un des groupes d’intérêts (signataires d’une pétition, participants à une action collective…)
  • Ils sont tirés au sort pour faire partie de l’assemblée citoyenne.

29 juin 2021

Compléter la psychanalyse par la politicanalyse, ou comment se guérir par l’engagement citoyen

Dans les années 1920, à Vienne, Wilhelm Reich était le plus brillant protégé de Freud. Sa pratique de psychanalyste l’a amené à penser que ses patients retenaient leurs traumatismes du passé à l’intérieur de leur corps, dans une sorte de tension musculaire qu’il comparait à une armure. Il s’est mis à travailler sur le corps de ses patients, ce qui était révolutionnaire pour un psychanalyste.
2e apport plus radical encore,
Wilhelm Reich faisait a Vienne dans les années 1920 des séances de psychanalyse gratuite dans une clinique de quartier populaire. Il a découvert que les traumatismes que les gens portent ne sont pas seulement liés à leur vie personnelle ou familiale comme le pensait Freud, ils sont aussi politiques, traumatismes liés à la classe sociale, à la pauvreté, à la vie professionnelle, choses sur lesquelles la psychanalyse n’a aucun pouvoir. Dans la clinique gratuite où il pratiquait, il voyait beaucoup de patients issus de la classe ouvrière, de femmes au foyer. Leurs problèmes n’étaient pas liés au complexe d’Œdipe ou d’avoir assisté à la « scène primitive » : ils luttaient contre l’épuisement, la pauvreté, le viol, l’alcoolisme, les violences conjugales. Pour Reich, le problème de la psychanalyse était qu’elle insistait pour traiter l’individu comme si sa douleur survenait dans un vide. Le marxisme, quant à lui, ne reconnaît pas l’importance de l’expérience émotionnelle, notamment les troubles causés par la honte et la répression sexuelle, en particulier chez les femmes. Donc la psychanalyse ne suffit pas. 

On peut imaginer une « politicanalyse » qui creuse comment des expériences individuelles de souffrances, de traumatismes ou d’émotions sont générés par un contexte social ou politique. Les dynamiques d’organisation collective de syndicats d’habitants dans les quartiers populaires partent des émotions, des sentiments de colère et d’injustice. Et en donnant un cadre de pouvoir collectif permettant de sortir des sentiments d’impuissance et de résignation, on peut alors guérir les maux des personnes comme on guérit les maux de la société.

28 mars 2021

Penser la démocratie continue avec Dominique Rousseau : Le corps des citoyens a deux organes : la voix pour voter et réclamer, l’œil pour comparer et surveiller,

Le Monde, 20 mars 2021

Le juriste Dominique Rousseau le pose crûment: la forme représentative dela démocratie n’a pas besoin de citoyens, elle a besoin d’électeurs. Sieyès [homme politi­que et essayiste, 1748 – 1836] le disait dans son discours du 7 septem­bre 1789, où il oppose gouverne­ment représentatif et démocratie :« Les citoyens, déclare­-t-­il, qui se nomment des représentants re­noncent et doivent renoncer à faire eux­-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volontés particulières à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet Etat repré­sentatif ; ce serait un Etat démocra­tique. Dans la logique représentative, le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. » Le passage du suffrage censitaire au suffrage universel et les institu­tions de la représentation n’ont pas changé la réalité des choses s’ils en ont modifié l’apparence.« Au nom de… » reste la règle gram­maticale fondamentale de la forme représentative du gouver­nement des sociétés politiques.

Mais avec les mouvements sociaux depuis une vingtaine d’années, un autre cycle s’ouvre qui porte l’exigence plus forte d’une démo­cratie continue. Cette approche transforme et élargit l’espace d’intervention des citoyens en inventant les formes et procédures leur permettant d’exercer un travail politique : le contrôle continu et effectif, en de­hors des moments électoraux, de l’action des gouvernants.Les fondements constitution­nels de cette forme de démocratie se trouvent dans la Déclaration des droits de l’homme et du ci­toyen de 1789. A l’article 6, qui af­firme que « tous les citoyens ont le droit de concourir personnelle­ment ou par leurs représentants à la formation de la loi ». Et dans l’exposé des motifs, où les révolu­tionnaires expliquent qu’avec l’énoncé des droits il s’agit de per­mettre aux membres du corps social de comparer les actes du pouvoir législatif et ceux du pou­voir exécutif aux droits énoncés et, le cas échéant, de permettre aux citoyens de réclamer le res­pect de ces droits par les repré­sentants. Comparer et réclamer.Autrement dit, le corps des ci­toyens a deux organes : la voix et l’œil. La voix pour voter mais aussi pour réclamer, crier, reven­diquer. L’œil pour regarder, com­parer, surveiller l’action de leurs représentants.

19 janvier 2021

Mobilisation citoyenne: Articuler la simplicité de l’engagement « passionné » et la complexité institutionnelle nécessitant une approche « raisonnée »

Une des problématiques classiques de la participation est la tension entre les moteurs de l’engagement qui relèvent du sentiment d’injustice et de la passion – le point de départ, et la transformation institutionnelle – le point d’arrivée. Ce sont les deux facettes du métier d’organizer qui rentrent en contradiction.

– D’un côté: l’organizer « mobilisateur »:  Empathie/émotions avec les colères des gens. Polarisation contre les institutions maltraitantes. Envie de les « dégommer »… Le décideur a 100% tord.

– De l’autre l’organizer « stratège »: Analyse froide/rationnel des intérêts en jeu. Penser long terme. Leviers de pouvoir et réflexion type: « se mettre à la place de l’adversaire pour le comprendre ». Le décideur a une partie des tords mais aussi des contraintes.

Deux fonctions nécessaire du job, mais qui peuvent entrer en contradiction.

L’écart entre le « modèle » belliqueux de l’alliance citoyenne de Grenoble et l’approche plus diplomatique de l’alliance citoyenne de Lyon ou Seine St Denis, peut être analysé comme une différence de dosage entre ces deux dimensions. Alinsky appelait pour cela la schizophrénie politique des organizers. L’extrait où il en parle est ici:

Un schizophrène politique bien intégré
 L’organisateur doit se faire schizophrène, politiquement parlant, afin de ne pas se laisser prendre totalement au jeu. Avant de pouvoir passer à l’action, l’homme doit se polariser sur une question. Il agira comme si sa cause est à 100% du côté des bons et que ses opposants sont à 100% du côté des méchants. II sait, l’organisateur, que l’on ne passera pas à l’action si les problèmes ne sont pas polarisés de cette façon. J’ai déjà cité un exemple de la Déclaration d’Indépendance. Il est remarquable que le cahier des révolutionnaires américains passe sous silence tous les bienfaits de la colonisation britannique pour n’en citer que les méfaits.
Je m’explique: l’organisateur doit se dédoubler. D’un côté, l’action où il s’engage prend tout son champ de vision, il a raison à cent pour cent, le reste égale zéro; il jette toutes ses troupes dans la bataille. Mais il sait qu’au moment de négocier il lui faudra tenir compte à quatre-vingt-dix pour cent du reste. Il y a deux consciences en lui et elles doivent vivre en harmonie. Seule une personne organisée peut à la fois se diviser et rester unifiée. C’est ce à quoi doit parvenir l’organisateur.

 [Rules for radicals/ Etre radical, page 139]

10 novembre 2020

Penser le droit des usagers comme un droit effectif de participation pour transformer les services publics

Extrait de l’article de Bardout Jean-Claude, « La notion de « droit des usagers » a-t-elle un avenir en France ? », Empan, 2006/4 (no 64), p. 23-27. DOI : 10.3917/empa.064.0023. URL : https://www.cairn-int.info/revue-empan-2006-4-page-23.htm

Coincé entre les fortes légitimités des élus, qui décident au nom de l’intérêt général, la compétence de l’administration, qui applique les textes censés garantir cet intérêt, le pouvoir statutaire ou contractuel des agents publics et privés, qui contribuent à ce service et dont l’emploi en dépend, quelle place reste-t-il pour l’usager ?

En alternative au client doté de sa capacité de négociation contractuelle, nous aurions l’usager du service public doté du pouvoir de participer à la définition des missions du service et à sa gestion. Telle était la promesse du début du siècle dernier. Est-il encore temps de donner à l’usager ce pouvoir, de sauver ainsi les services publics ?

Deux voies d’évolution s’offrent aux citoyens : soit l’alignement du droit des usagers sur le droit commun des obligations et le droit de la consommation, soit la reconnaissance d’un véritable droit de participation aux usagers du service public à la gestion de celui-ci. La première aurait pour but et conséquence d’ériger l’usager en client, avec les droits reconnus à cet état. Elle irait dans le sens de la politique de libéralisation des services et, pour dire les choses sans langue de bois, aboutirait à la banalisation marchande de ces services.

La seconde chercherait à faire de l’usager, non un consommateur dénué de droits, mais un participant au service public. (…) Face à la force d’attraction du concept de client, dans un contexte où la privatisation de services publics apparaît être l’antidote au corporatisme et à la bureaucratisation des services, le concept d’usager n’a d’avenir que s’il permet d’élever le niveau de pouvoir et de participation des usagers.

30 octobre 2020

Les 4 facteurs qui rendent une interpellation légitime CQFD

  • [Combien]Le nombre (la quantité) de personnes. Principe de la pétition, qui est analogue à la logique électorale qui comptent les voix.
    1. capacité à faire signer une pétitions : nombre de signataires, etc.
    2. capacité à mobiliser des personnes : action collective, manifestation
    3. capacité d’organisation de réunion : nombre de personnes dans des assemblées…
  • La « Qualité » des personnes, le fait que ce soit des personnes concernées. Une pétition n’a pas le même sens quand les signataires sont des personnes concernées et quand ce sont des soutiens. A creuser. à Une notion clé : la communauté d’usagers de l’action publique (CUAP)
  • [Faits] Expertise/ « vérité»/ justesse des problèmes soulevés
  • Droit fondamental menacé.

Ce qui revient également à quatre questions sur le problème public qui génère l’interpellation: Combien, Qui, Quoi, Poursuoi (CQQP) …

En creux, ça nous renvoit à 4 facteurs qui délégitiment une interpellation :

  • Faible nombre de personne, minoritaires
  • Pas porté par des gens directement concernés
  • Basé sur des mensonges, des erreurs ou des faits inexacts,
  • Contraire aux droits fondamentaux

28 aout 2020

Education politique et politisation des citoyens

Entre ce que Julien Talpin [1] dit dans l’article et le travail de Camille Hamidi[2], on peut noter que la politisation passe par trois ou quatre dimensions fondamentale :

1-      Conflictualité : posture critique/ polarisation/ mise en avant des intérêts en contradiction. »Ils font pas les travaux, car ils gardent l’argent pour spéculer ou construire du neuf » ou bien « ils parlent d’écologie, mais c’est pour ds pistes cyclables, ou les cantines bio du centre ville où habitent les élus et rien pour les quartiers populaires… »

2-      Montée en généralité : des intérêts particuliers à l’intérêt collectif large ou l’intérêt général. « au-delà de nos propres logements, ce qu’on veut ce sont des économies d’énergie pour tout le monde, dans toute la ville, parce que ça concerne tout le monde. « 

3-      Contextualiser/ montée en échelle : évocation des politiques nationales ou internationales. « Il y a une politique nationale pour les rénovations, et des budgets européens à aller chercher. Les écolos au pouvoir doivent être exemplaire là-dessus et accélérer les projets ».

4-      (option) Vision large du changement social souhaitable. « A terme, pas un seul logement HLM doit être une passoire thermique. Le logement social doit être le plus écologique, le plus économique pour les charges des locataires et le plus confortable. Ca doit être un modèle de service public au service de la transition écologique et social, pour aller plus loin que ce que fait le Marché et les logements privés… »

[1] voir Talpin Julien, « Jouer les bons citoyens. Les effets contrastés de l’engagement au sein de dispositifs participatifs », Politix, 2006/3 (n° 75), p. 11-31. DOI : 10.3917/pox.075.0011. URL : https://www.cairn-int.info/revue-politix-2006-3-page-11.htm

[2] Lire à ce sujet : Hamidi Camille, « Éléments pour une approche interactionniste de la politisation. Engagement associatif et rapport au politique dans des associations locales issues de l’immigration », Revue française de science politique, 2006/1 (Vol. 56), p. 5-25. DOI : 10.3917/rfsp.561.0005. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2006-1-page-5.htm

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