Démodynamie: mieux gouverner avec la pression citoyenne
Les mobilisations de citoyens-usagers de l’action publique, parfois vécues comme perturbatrices peuvent être une pression correctrice et créatrice utile à l’amélioration de la qualité et de l’équité des services publics. A condition de les reconnaitre et de leur aménager les bons espaces de dialogue.
Cette recherche initiée au sein de l’Institut Alinsky en 2019. Un article paru dans la revue Mouvement de mars 2020 fait un premier point sur la question. Il disponible sur le site des revues de sciences humaines et sociales Cairn.info ou peut être téléchargé ci-dessous.
Le vote a longtemps eu le monopole de l’exercice du pouvoir citoyen sur les institutions publiques. Depuis la fin du 20e siècle, les espaces de dialogue, les conseils et autres conventions citoyennes le complètent avec l’idée d’une démocratie participative qui complète la démocratie représentative.
Nous croyons à la richesse des dynamiques d’interpellation qui viennent s’ajouter au vote et la participation aux instances participatives pour démultiplier les possibilités des citoyens d’intervenir sur l’action publique.
On peut parler d’une démodynamie (δῆμοδύναμία). Si la démocratie décrit le pouvoir du peuple comme l’idéal d’un peuple (demos) qui gouverne (-kratos), la notion de démodynamie insiste sur l’idée d’une puissance (dynamis, δύναμις) populaire (demos)en action, une pression citoyenne qui va peser sur les institutions pour en corriger les dysfonctionnements et les injustices.
La démodynamie décrit la participation non-invitée et toutes les actions collectives extra-institutionnelles ayant pour but de mettre à l’agenda des problèmes publics et de concourir à y trouver des solutions.

Quelles sont les différentes formes d’interpellation citoyenne qui constituent la démodynamie?
Cette démodynamie et les interpellations citoyennes dont on veut reconnaître le rôle peuvent prendre plusieurs formes. On s’intéresse ici à trois d’entre elles:
- le droit de pétition qui amènerait l’ouverture d’un espace de dialogue au sein de l’instittution, négociation ad hoc, débat en conseil d’administration ou en conseil municipal ou bien une votation si l’enjeu peut être tranché exclusivement par les citoyens/usagers.
- la manifestation sur la voie publique. On compte les manifestants plus difficilement que les signataires d’une pétition. Mais l’idée d’une obligation de réaction de la part des décideurs publics à partir d’un certain nombre de personnes mobilisées n’est pas moins pertinente que la logique du seuil pétitionnaire. Il s’agirait de limiter l’arbitraire exécutif qui choisit à quelle manifestation il répond et à laquelle il ne répond pas et la logique du seul rapport de force. Cependant, le pouvoir monarchique, qu’il siège à Versailles, à l’Elysée ou à la Mairie de Grenoble craint les manifestations plus que les pétitions, car elles sont une forme de pouvoir populaire plus difficile à maîtriser. Si le droit de manifester pour faire entendre une demande existe, aucune règle ne pose le droit d’obtenir une réponse.
- la contre-expertise. La diffusion d’un contre-rapport d’un groupe de citoyens sur un projet d’autoroute, sur un plan de rénovation urbaine ou sur un projet délégation de service public est une forme puissante d’intervention citoyenne. A Notre dame des landes, les citoyens ont combiné occupation illégale, expertise citoyenne et mobilisation de masse. Le tout a amené le gouvernement à annuler le projet d’aéroport, malgré un referendum local organisé dans le but, entre autres, de délégitimer la mobilisation. Referendum qui rappelle la contradiction entre des formes de démocratie directe et une interpellation démodynamique.
Mais d’autres formes existent: les tribunes dans la presse, les recours administratifs ou juridiques contre certaines décisions publiques, … La reconnaissance d’un droit d’interpellation sera un progrès d’autant plus grand qu’il inclura une diversité des formes possibles de mobilisation citoyenne.
Sur quels sujet est-il le plus nécessaire d’avoir une approche démodynamique?
Le préalable est d’identifier les sujets dissensuels, de désaccord sur lesquels s’accumulent des frustrations qui dégradent la confiance envers l’institutions. On ne conduit pas une politique fortement dissensuelle de la même manière qu’une politique largement approuvée.
En fonction de la manière dont ce sujet est déjà pris en compte au sein de l’institution, on a deux types d’interpellation :
- celles visant la mise à l’agenda d’un nouveau problème public
- celles contestant une décision récemment prise ou en voie de l’être.
Comment renforcer la reconnaissance publique des dynamiques d’interpellation et sur la base de quels critères?
- s’appuyer sur le nombre/ quantitatif :
- définition des seuils que les pétitions doivent atteindre[1].
- Comptage des participants aux manifestations, mais à l’échelle locale, on peut facilement compter le nombre de locataires qui se rendent ensemble chez leur bailleur, ou le nombre de parents rassemblés devant l’école. Reste la question de qui fait/valide ce comptage. Une option : les photos, ou les attestations de présence signées pendant le rassemblement.
Exemple des seuils imaginés : 10 signataires pour un rendez-vous technique, 100 signataires pour rdv « politique » avec la direction/élu, 200 signataires pour assemblées de compte à rendre, 500 pour une votation… à adapter en fonction de la communauté concernées : nombre d’habitants de la ville, nombre d’usagers du service…
- S’appuyer sur le qualitatif :
- validation par un expert neutre de la pertinence de l’interpellation sur plusieurs critères : nouveau problème ou récurrent, nombre de personnes affectées, nature du problème entrave aux droits, coût économiques…
- Enfin, la qualité de la contre-expertise et l’apport d’éléments nouveaux pourraient être considérés pour contraindre à des réponses spécifiques.
Financer la démodynamie : construire un environnement favorable à l’interpellation
Penser les conditions matérielles qui favorisent l’égalité des citoyens devant cette modalité démocratique.
L’essentiel des mouvements d’interpellation est jusque-là organisé plus ou moins largement par des associations ou syndicats dotés de ressources pour cela. Les plus grandes manifestations sont organisées avec les moyens des confédérations syndicales ou plus récemment des associations écologistes. Or il est à noter que les ressources organisationnelles des syndicats sont pour partie issues de l’argent public. Mais le financement est déconnecté de l’activité effective démodynamie. Il est le plus souvent lié aux résultats des élections représentatives (élections professionnelles, élections HLM…). Ce faisant, il encourage le jeu « représentatif » au lieu d’encourager un jeu démodynamique.
A quelles conditions peut-on envisager le remboursement des frais engagés pour une pétition ou l’organisation d’une manifestation, jusqu’à un certain plafond, si cette initiative réunit un nombre donné de citoyens ? Il est possible de s’inspirer des règles de remboursement des frais de campagnes pour les partis ayant su convaincre un nombre donné d’électeurs.
A quelles conditions envisager un remboursement des « frais de campagne » des citoyens qui ont œuvré à la mise à l’agenda de tel problème ignoré des institutions?
Il est possible de mieux penser l’articulation entre pouvoir et contre-pouvoir dans la cité, entre les enjeux de gestion portés par les gestionnaires, et les enjeux d’amélioration portés par les usagers. Pour que la gestion des biens communs et services publics locaux soient également un espace de transformation et d’émancipation.